mardi 5 juin 2018

Pétitions-Patrimoine met fin à ses activités

C’est non sans regrets, mais avec une certaine lucidité, que les membres de Pétitions-Patrimoine ont décidé de dissoudre leur asbl. L’association avait été créée en 1993, suite à la démolition d’une maison Art Nouveau classée, le 120, avenue de Tervueren. Le combat pour la remise en place de sa façade démontée est aujourd’hui gagné. Autre dossier phare défendu par Pétitions-Patrimoine, les ateliers Citroën viennent d’être inaugurés comme musée d’art moderne Kanal - centre Pompidou. Il est intéressant de rappeler qu’en 1996, Pétitions-Patrimoine était seule en Commission de concertation à défendre ce bâtiment emblématique contre un projet de démolition pure et simple. Une pétition de classement, introduite en 2000 avec le Bral, est restée d’ailleurs jusqu’aujourd’hui lettre morte, même si, à l’époque, la législation sur le patrimoine obligeait le gouvernement à entamer une procédure de classement.

Au cours de ses 25 ans d'existence, ce sont des centaines d’avis que l'association aura produits, des participations aux Commissions de concertations, des communiqués de presse et des actions médiatiques réussies : les Presses Socialistes (rue des Sables), le Palais du Vin (rue des Tanneurs), la maison-atelier Cortvriendt (rue de Nancy), la villa Coene (av. Jean et Pierre Carsoel)… des dossiers qui ont, à un moment donné, basculé vers un classement, une rénovation respectueuse… Par contre, au fil du temps, les échecs, comme la disparition de l’îlot Drapiers-Chevaliers-Toison d’Or, la destruction des anciens entrepôts Delhaize (Art Nouveau, quai des péniches) pour faire place à la tour Upsite, ou des usines Godin (quai des Usines) pour faire place à un centre commercial, tous soutenus par les pouvoirs publics, sont devenus plus nombreux.

 
Menacée de démolition, la villa Coene, av. J. et P. Carsoel est sauvée - © BUP

L’absence de prise en compte des pétitions de classement prévues par l’ordonnance régionale de 1993 sur le patrimoine et, depuis 2009, la révision de cette législation qui leur a ôté toute portée contraignante explique en partie la démotivation des citoyens qui se sont investis bénévolement dans l’association. Lors de la révision du CoBAT de 2009, la prise en compte de ces pétitions par la Région a été rendue facultative. Pétitions-Patrimoine avait alors tiré la sonnette d’alarme mais avait décidé de continuer à lancer des pétitions, en particulier lorsqu’elles étaient soutenues par une forte mobilisation locale d’habitants, comme ce fut le cas pour la salle Vermeulen à Schaerbeek ou la place du Jeu de Balle dans les Marolles. Malheureusement, il fallu constater que ces actions n’ont pas été très fructueuses et que ces pétitions furent, pour l’essentiel, rejetées par la Région.

Pétitions-Patrimoine constate d’ailleurs que de fil en aiguille, la Région revoit ses outils planologiques (PRAS, CoBAT…), pour entériner la dérogation par défaut, comme récemment avec les nouveaux PAD, les « Plans d’Aménagement Directeurs » qui permettent de déroger à toute autre législation. Pour Pétitions-Patrimoine c’est un signe de plus que la Région prend le parti du développement immobilier à tout crin au détriment de ses habitants et du patrimoine.

L'arrêt de Pétitions-Patrimoine n'est donc pas le signe que le patrimoine bruxellois n'est plus menacé, loin de là. On constate d’ailleurs une recrudescence inquiétante de projets de façadisme brutal, comme sur la chaussée d’Ixelles (63, ancien immeuble du à Ernest Delune), ou encore sur l’îlot Solvay. Pétitions-Patrimoine peut donc ressortir sa vieille formule des années 1990 : « le façadisme est à la protection du patrimoine ce que la taxidermie est à la protection animale ».


Les anciens bureaux Solvay, aujourd'hui façadisés - © BUP

Pétitions-Patrimoine fait aussi le constat qu’il devient de plus en plus difficile d’agir contre des projets d’ampleur, soutenus par les pouvoirs publics. La participation et la concertation fonctionnent mal et, face à de gros projets, quels que soit la pertinence des arguments légaux ou patrimoniaux avancés, il devient extrêmement difficile de se faire entendre. Les permis sont délivrés malgré tout et il ne reste plus que les recours au Conseil d’Etat, longs et onéreux, qui pourraient permettre d’avoir gain de cause. Il y a là un glissement regrettable et décourageant du débat public sur le développement de la ville.

Pour les administrateurs de Pétitions-Patrimoine, il y a au final le constat qu’il est devenu difficile pour des bénévoles de mener une activité de défense du patrimoine ambitieuse, car mobilisant de plus en plus de ressources, notamment en temps. Pour espérer mener à bien des actions de sauvegarde fructueuses sur le long terme, il faudrait prendre le parti de professionnaliser l’association… mais cela en changerait trop profondément la nature.

Alors que Pétitions-Patrimoine met la clé sous la porte, ses membres espèrent que d’autres citoyens reprendront le flambeau, avec d’autres moyens ou types d’actions, parce que la destruction du patrimoine reste une menace sérieuse pesant sur notre ville.

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