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dimanche 15 juillet 2012

Maison de l’histoire européenne : le Parlement doit d’abord rendre public le programme muséographique

Installer une « Maison de l’histoire européenne » à Bruxelles dans le parc Léopold et dans le quartier européen, pourquoi pas, si, après le Parlamentarium, la pertinence de l’installation d’un deuxième équipement de communication du Parlement européen est démontrée en ces temps d’austérité. S’il s’agit également de susciter l’adhésion des citoyens européens à un projet politique qu’ils ne comprennent plus, est-il cohérent de le faire sans respecter un espace vert protégé situé dans un quartier particulièrement dense et encombré ? Nous attendons de ces institutions, que nous avons accueillies à Bruxelles avec bienveillance et au prix du sacrifice d’une part importante de notre cadre de vie, qu’elles respectent d’abord les valeurs et les devoirs qui fondent l’idéal européen, en particulier lorsqu’il s’agit de son patrimoine architectural et paysager, d’autant plus quand il est question de mettre en valeur l’histoire de l’Europe.

L'Institut dentaire Georges Eastman et ses proportions soignées, juste après sa construction en 1935 - ©Universiteitsbibliotheek UGent [open] - cliquer pour agrandir

Le Parc Léopold s’inscrit dans la permanence

C’est une des rares parcelles de ce secteur de Bruxelles à ne jamais avoir été bouleversée par la constante modernisation fonctionnelle du quartier, on y trouve les traces les plus anciennes du paysage originel de la vallée du Maelbeek. C’est un écrin pour chacun des bâtiments remarquables qui y ont été construits et c’est un îlot de calme et d’harmonie dans un environnement hétéroclite à la qualité architecturale et urbanistique souvent déficiente. Le secteur associatif bruxellois a su le protéger en contribuant activement à son classement en tant que site en 1976 et pour plusieurs de ses bâtiments en 1987-1988. Le site est par ailleurs situé en Zone d’Intérêt Culturel Historique Esthétique et d’Embellissement.

L’Institut dentaire George Eastman s’inscrit dans une filiation

L’Institut Eastman a été construit en 1934-1935 par l’architecte Michel Polak qui est largement reconnu pour son œuvre, particulièrement à Bruxelles durant les années 1920-1930 (Villa Empain, Résidence Palace, Hôtel Plaza, ancien bâtiment de la RTT rue des Palais). Il a marqué de son empreinte de nombreux immeubles aux programmes architecturaux uniques et parmi ceux-ci l’Institut dentaire, financé par le mécène américain George Eastman à la suite d’autres opérations analogues réalisées à Stockholm, Paris, Rome, New York et Londres. Il faut noter que toutes ces institutions, sauf la bruxelloise, fonctionnent encore aujourd’hui dans le respect de leur vocation prophylactique et sociale d’origine.

Le projet de la « Maison de l’histoire européenne » s’inscrit dans le contexte dérégulateur du quartier européen

Il faut se rappeler que si l’Institut Eastman n’a pas été classé dans la foulée d’autres bâtiments du Parc Léopold en 1988, on le doit déjà au Parlement européen qui souhaitait y garder les coudées franches pour y aménager des salles de réunion. L’irrespect d’hier autorise donc aujourd’hui les atteintes au patrimoine. La désinvolture face aux normes en matière d’urbanisme et de patrimoine dans le parc Léopold est le reflet de ce qui se passe sur la rue Belliard (tour Van Maerlant, projet de démolition/reconstruction de l’ancienne BACOB) dans le sillage du « Projet urbain Loi ». L’auteur du projet architectural ne s’est pas privé de justifier sa surélévation de 3 étages du bâtiment ancien par les nouveaux gabarits envisagés aux abords du parc et par l’éclectisme stylistique des immeubles situés en dehors du site classé. Il signale, par contre, qu’à Paris, il avait dû enterrer le programme qui lui avait été imposé pour le Petit Palais, Bruxelles n’étant pas Paris, son patrimoine ne semble pas digne d’une telle attention.

Le projet de la « Maison de l’histoire européenne » ne s’inscrit pas dans la transparence

La demande de permis a été discutée ce 19 juin 2012 en commission de concertation de la Ville de Bruxelles. Le projet a reçu une volée de bois vert de la part des habitants, représentés par l’Association du Quartier Léopold (AQL) mais aussi des associations telles que l’ARAU, Europa Nostra et Pétitions-Patrimoine. Pour comprendre pourquoi il était nécessaire de doubler le volume du bâtiment Eastman, les habitants ont demandé que le programme muséographique, à partir duquel les architectes avaient à travailler, soit rendu public. Il est effectivement indispensable de connaître la qualité, la répartition et les superficies des fonctions d’un tel musée (exposition permanente et/ou temporaire, locaux administratifs, espaces d’accueil, cafétéria, boutique…) pour pouvoir évaluer ce projet en toute connaissance de cause. Le représentant de l’administration du Parlement européen a fini par déclarer que cette information n’avait pas à être rendue publique.

Une concertation publique et un avis déconcertant

L’avis de la commission de concertation est un modèle de langue de bois : 
« Considérant que l’extension qui se situe dans la cour et en couronnement s’articule dans la composition des volumes du bâtiment existant » ;
« Considérant que le projet constitue un défi technique de créer un musée à la fois fonctionnel, accessible pour tous et sécurisé ».
Voilà un florilège d’arguments technocratiques et tautologiques visant à lever tout obstacle à la défiguration de ce qui doit, y compris dans le site classé du parc Léopold, s’adapter aux principes de la révolution immobilière permanente d’un quartier européen qui ne veut pas oublier qu’il s’appelle Léopold. Les Bruxellois ne sont pas des citoyens européens de seconde zone et ne peuvent s’accommoder d’un tel déni ni de la part des pouvoirs publics qui les représentent ni de la part des institutions européennes qu’ils ont accueillies. Ils exigent d’abord une publication du programme muséographique afin que chacun puisse évaluer si les fonctions qu’il impose aux architectes ne font pas double emploi avec le Parlamentarium, ou avec l’offre urbaine de la place Jourdan toute proche.

Ils demandent ensuite que le projet de musée soit redimensionné afin de le rendre compatible avec la conservation du patrimoine du parc Léopold, en accord avec les principes de la Charte de Venise (1) qui sont reconnus par les instances internationales et qui sont généralement d'application sur tout le territoire européen. La restauration exemplaire et récente de la Villa Empain (réalisée par la Fondation Boghossian) est bien la preuve qu'une activité culturelle ouverte bien au-delà des frontières de l'Europe rayonne aussi par la qualité tout en mesure de son installation dans cet autre bâtiment remarquable de Michel Polak. Le Parlement européen ne devrait pas s'exonérer de la règle commune en tirant profit d'une faille administrative (absence de classement). Nous ne nous attendons certainement pas de cette grande institution, à laquelle nous sommes tous attachés, qu'elle s'assujettisse à la rhétorique encombrante et mercantile qui semblent conduire l'ensemble du projet européen vers un avenir auquel les bruxellois comme tous les citoyens européens ne pourront adhérer.

(1) :  Article 6 en particulier : « La conservation d'un monument implique celle d'un cadre à son échelle. Lorsque le cadre traditionnel subsiste, celui-ci sera conservé, et toute construction nouvelle, toute destruction et tout aménagement qui pourrait altérer les rapports de volumes et de couleurs seront proscrits. »

Signataires : Association du Quartier Léopold, ARAU, Pétitions-Patrimoine, Fondation Boghossian (Villa Empain)


jeudi 24 mai 2012

Eastman massacre

Note : la Commission de concertation ayant été reportée, une nouvelle enquête publique a lieu du 26 mai au 9 juin. La nouvelle réunion de concertation aura lieu le 19 juin. Il est donc toujours possible de consulter le dossier à l'enquête à la Ville de Bruxelles (service Urbanisme) et de réagir durant la durée d'enquête ou lors de la réunion de concertation.
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L'enquête publique sur la transformation de l'ancien Institut Eastman en « Maison de l'histoire européenne » est en cours jusqu'à demain. Après l'ARAU et l'AQL, Pétitions-Patrimoine réagit à ce nouvel exemple d'inadapation d'un programme architectural démesuré à un bâtiment remarquable... ou comment bourrer deux fois trop de m2 en écrasant le patrimoine sensé l'accueillir.

L'Institut dentaire Eastman - photo © SashM

Un patrimoine unique

L’Institut Eastman est un bâtiment remarquable construit en 1934-1935 par l’architecte Michel Polak. L’architecte suisse Michel Polak (1885-1948) est aujourd’hui largement reconnu pour son œuvre architecturale exceptionnelle, particulièrement à Bruxelles durant les années 1920-1930 : Villa Empain, Résidence Palace, Hôtel Plaza, RTT (rue des Palais)… Maniant avec brio les styles de l’époque (Art Déco, Beaux-Art, modernisme classique), Michel Polak a marqué de son empreinte plusieurs immeubles aux programmes architecturaux uniques. Parmi ceux-ci, il faut noter l’Institut Dentaire George Eastman, implanté dans le Parc Léopold.

Dans un style moderniste teinté d’esprit classique, l’Institut Eastman présente, avec une sobriété d’usage des matériaux, une composition symétrique d’aspect monumentale, jouant essentiellement sur le traitement des volumes du bâtiment. On notera aussi le soin apporté aux détails des décorations et aménagements intérieurs : porte d’entrée en fer forgé, grand hall principal, salle d’attente, salle de conférence… Il n’est sans doute pas utile ici de s’étendre plus longuement sur l’intérêt et les qualités esthétiques, architecturales et historique de l’Institut Eastman car ils sont largement documentés par ailleurs. Voir notament ici et ici (avec plus de photos de détails) et des photos de son inauguration et état en 1935 ici.

Un projet inadapté


Malheureusement, le projet de « Maison de l’histoire européenne » tel que proposé est complètement inadapté au patrimoine sensé l’accueillir. Il est clair que le programme prévu est démesuré par rapport à la capacité de l’Institut Eastman à le recevoir, obligeant à une surélévation destructrice du bâtiment. Le programme d’affectation n’a manifestement pas été étudié et adapté aux possibilités et qualités du bâtiment. Dans le cadre de la réaffectation d’un patrimoine aussi remarquable, une telle démarche est à proscrire, étant l’inverse de la bonne pratique en la matière qui voudrait que l’on définisse le programme en fonction du patrimoine et non l’inverse.

Une vue du projet proposé

D’une part, la surélévation de l’Institut Eastman en détruit irrémédiablement la perception et la volumétrie, en alourdissant considérablement ses proportions et en noyant sa composition d’origine. D’autre part, certains espaces intérieurs sont sacrifiés (perte de perspectives internes notamment). Il n’est pas clair non plus si l’ensemble des éléments décoratifs d’origines encore présents sera conservé.

L'écrasement du Parc Léopold

Par ailleurs, il faut noter l’impact désastreux de la surélévation du bâtiment sur l’ensemble du parc Léopold classé. Alors que les bâtiments implantés dans le parc présentent une certaine homogénéité de gabarits, la surélévation de l’Institut Eastman créerait une rupture disharmonieuse dans cette cohérence d’échelle du bâti. Cette surélévation écrasante serait visible depuis de nombreux points de vue du parc, mettant à mal ses qualités paysagères.

Une vue du projet depuis le parc

L'écrasement du voisinage immédiat

Il faut aussi refuser la surélévation de l’Institut Eastman par rapport à ses voisins, en particulier le Lycée Jacquemain qui le jouxte. La surélévation de l’Institut Eastman aurait un impact négatif sur l’harmonie d’ensemble que forme ces deux bâtiments et aurait un effet d’écrasement sur le Lycée.

A gauche, le Lycée Jacquemain et, à droite, l'Institut Eastman

Le Lycée est un bâtiment intéressant et, aujourd’hui, les gabarits de sa façade monumentale s'accordent à ceux de l'Institut Eastman. La hauteur des corniches des deux immeubles est similaire. La composition des deux façades, malgré que l'une soit éclectique et l'autre moderniste, est empreint d'esprit classique : composition tripartite dont la partie centrale est mise en exergue par l'encadrement de deux ailes latérales. Au centre de la composition se trouve l'entrée principale. Ce dispositif, très académique, est ici joliment décliné sous deux modes : les ailes du Lycée sont plus hautes que la façade centrale, les ailes de l'Institut Eastman sont plus basses, la façade principale débordant assez subtilement par l'arrière de celles-ci.

Quel image pour l'Europe à Bruxelles ?


Enfin, d’un point de vue plus symbolique, l’implantation d’une « Maison de l’histoire européenne » par l’écrasement d’un bâtiment (et d’un site) important du patrimoine bruxellois paraît peu heureux. Au fond, ce projet ne deviendra-t-il pas, via cette manière écrasante de s’implanter sur l’Institut Eastman et dans le parc Léopold, plus emblématique de la manière brutale et urbanistiquement destructrice dont les instances européennes se sont historiquement installées dans Bruxelles ? Le demandeur et les autorités bruxelloises ont-ils vraiment envient de voir un nouveau « Berlaymonstre » ou « Caprice des Dieux » s’installer dans l’imaginaire populaire ? Si les autorités publiques européennes veulent redresser l’image négative en terme d’impact urbain qu’elles ont auprès d’une bonne partie de la population bruxelloise, une première étape serait de renoncer à ce projet si exemplaire d’une démesure écrasante pour le patrimoine et l’urbanité bruxelloise.