lundi 29 août 2011

Ceci pourrait nous coûter un pont… ou plus


Face à la montée des prix du pétrole, à la saturation des réseaux routiers et, d'une manière générale, à une prise de conscience de l'impact écologique qu'a le transport de marchandise par la route à une vaste échelle, des réflexions sont menées afin de mettre en place des alternatives au tout-camion. Une de ces réflexions mène vers la voie d'eau et, à Bruxelles, il se trouve que nous sommes reliés au très actif port d'Anvers par le canal de Willebroeck, un canal qui devient «de Charleroi» et se prolonge vers la Wallonie et qui, potentiellement, nous met en relation avec le Nord de la France jusqu'au bassin parisien. Il ne s'agit que d'un potentiel car, actuellement, l'usage du canal de Charleroi a ses limites.

Aujourd'hui, la péniche classique transportant du vrac au raz de l'eau se voit en partie marginalisée face au transport fluvial par conteneurs qui est d'ors et déjà la norme du transport international. Le conteneur, avec ses dimensions standardisées, permet un transbordement efficace par grue entre le paquebot, le train, le camion… Ainsi, dans son Masterplan le Port de Bruxelles explique que «La conteneurisation et le défi pour les ports maritimes de constituer un réseau performant de ports intérieurs offrent ainsi une opportunité de développement pour le port de Bruxelles».

Mais, à Bruxelles, cette opportunité de développement bute sur un obstacle majeur… où plutôt, sur cinq obstacles majeurs. En effet, en amont du pont Van Preat, la plupart des ponts bruxellois n'offre plus qu'une hauteur libre inférieure aux normes européennes prévues pour permettre le passage de bateaux portant jusqu’à trois niveaux de conteneurs. Par ailleurs, le canal devient plus étroit et est d'une capacité moindre.

C'est un vieux problème connu et, si dans les années 1980, on a renoncé à élargir le canal de Charleroi et, ce faisant, à raser une bonne partie du front bâti du vieux Molenbeek le longeant, faire sauter les ponts bruxellois reste une idée en vogue. Ainsi, Brigitte Grouwels, Secrétaire d'État en charge du Port de Bruxelles, a déclaré le 16 juin 2010, lors d'un séminaire sur le sujet: «D'ici à 10 ans, tous les ponts devront avoir une hauteur libre d'au moins 5,25 mètres de manière à permettre le passage de bateaux à double chargement de conteneurs. (…) D'ores et déjà il convient donc de prévoir la nécessité de surélever nos ponts à une hauteur libre de 7 mètres afin de permettre le passage de bateaux ayant 3 niveaux de conteneurs.».

La mise à hauteur des ponts bruxellois risque d'être très destructrice, d’autant que plusieurs ponts font clairement partie de notre patrimoine. On pense en particulier au pont de la place Sainctelette avec ses divers ornements (balustrades, pilastres…) Art Déco, construit par l'architecte Rogister et orné de statues dues à E. Wijnants.

Une des statues du pont de la place Sainctelette

En face, Monsieur a aussi fière allure

Il y a aussi le pont de la porte de Flandre qui possède d’étonnants pilastres Art Déco aux motifs d'inspirations exotiques,

Une étrange créature garde le pont de la Porte de Flandre

Le pilastre de droite n'étant pas moins étonnant

ou encore le pont métallique du chemin de fer entre Cureghem et la gare de l'Ouest dont le principe constructif est particulièrement intéressant.

Un autre problème sera la manière dont on arrivera, depuis les berges, à amener le trafic routier à la hauteur des nouveaux ponts à 7m. Soit on établira des ponts levants ou basculants, avec interruption de tout trafic routier entre les deux berges dès qu'un bateau passera. On imagine la pagaille entre la chaussée de Gand et la rue Dansaert avec ses nombreux bus. Cela paraît d’autant moins praticable qu’on espère une augmentation du trafic fluvial justifiant ces investissements. Soit on devra construire des rampes d'accès en pente bien au delà des berges et ce sont des destructions importantes du bâti alentour qui auront lieu.

Une question essentielle se pose donc: Bruxelles, ses habitants, son patrimoine… doivent-ils faire les frais de ces chantiers qui, partant d'une bonne intention, s'avèrent extrêmement destructeurs ? À ce stade, on se demande si le jeu de la «conteneurisation» du canal en vaut la chandelle et s’il ne vaudrait pas mieux s’appuyer sur le transfer vers le rail des conteneurs du côté de Schaerbeek Formation. Il nous semble qu’un débat sur la question doit être porté par la Région vers les habitants, au delà de quelques séminaires et rencontres entre spécialistes. D'autant que, au final, il ne fait aucun doute que le coût de ces projets est pharaonique et que, avant que le premier bateau à trois niveaux de conteneurs ne traverse Bruxelles, du Nord au Sud, beaucoup d'eau aura coulé sous les ponts du canal.

dimanche 28 août 2011

Quel avenir pour les prisons bruxelloises ?

En janvier 2009, le Ministre de la justice, Stefaan De Clerck a présenté son Master Plan pour les prisons du Royaume. Celui-ci prévoit, entre 2012 et 2016, la suppression d'un certain nombre de prisons existantes pour les remplacer par d'autres à construire sur de nouveaux sites. Pour Bruxelles, il s'agira de construire un nouveau complexe pénitentiaire à Haren et de fermer les prisons de Saint-Gilles, Forest et, sa voisine, Berkendael.

Il semble que toute cette opération se soit décidée sans qu'il y ait eu une quelconque réflexion préalable sur l'avenir des sites ainsi délaissés. M. Picqué, en tant que Ministre-Président bruxellois, a fait part de ses craintes quant aux intentions de la Régie des Bâtiments (propriétaire des lieux): «La crainte de la Région, c'est que le fédéral semble pressé de vouloir mettre les terrains sur le marché. (…). L'administration pénitentiaire est, comme l'Etat belge, soucieuse d'avoir un certain gain de la réalisation du terrain de Saint-Gilles et Forest.» (Le Soir, 7 juin 2010). Alors, va-t-on voir se mettre en place une spéculation effrénée par l'État fédéral sur ces sites et leur dépeçage en règle par les promoteurs immobiliers?

Pourtant, il est évident que certaines prisons font partie du patrimoine remarquable de notre Région. Prenons la prison de Saint-Gilles. Elle fut construite entre 1878 et 1884 par les architectes Joseph Jonas Dumont et François Derré. Les plans s'inspirent des principes les plus modernes de l'époque (le principe du panoptique), importés d'Angleterre et des Etats-Unis par le criminologue et premier inspecteur général de l'administration pénitentiaire, Edouard Ducpétiaux. La prison de Saint-Gilles prend place dans l'aménagement général du quartier de l'Hôtel de Ville et son imposante façade de style Tudor est particulièrement remarquable, tout comme le noyau central qui commande les cinq ailes du bâtiment principal. Nous trouvons là un des ensembles pénitentiaires les mieux préservés de la fin du XIXe siècle.

La prison de Saint-Gilles au début du XXe siècle - une image encore largement d'actualité

Il semble que l'intérêt patrimonial des établissements bruxellois n'ait pas échappé à nos édiles. Ainsi Magda De Galan, Bourgmestre de Forest, a déclaré que «Il n'est en tout cas pas question de raser ni la maison d'arrêt, ni la prison pour femmes» (Le Soir, 3 février 2010). Tout en reconnaissant la valeur des biens, Charles Picqué est moins affirmatif: «Je suis aussi circonspect quant à la démolition des bâtiments actuels. Des éléments patrimoniaux sont à conserver mais pas tout.» (Le Soir, 7 juin 2010).

Pour Pétitions-Patrimoine, il convient en tout cas d'éviter les erreurs du passé où, face à de gros projets de réaménagements, les autorités publiques ont «oublié» de prendre préalablement en compte les dimensions patrimoniales des lieux et où le débat sur le patrimoine s'est fait après coup pour essayer de sauver ce qui pouvait l'être face à des promoteurs invoquant l’absence de protection légale (cfr la saga Music City à Tour et Taxis par exemple). Ici, la Région doit prendre le taureau par les cornes tant qu'il est temps et mettre en place les études et mesures de protection du patrimoine nécessaires avant que l'on vide les lieux et envisage leurs usages et réinvestissements futures.